Sur quels principes-clés des sciences du comportement doivent s’appuyer les interventions de santé publique destinées à favoriser le respect de la distanciation physique en réponse à l’épidémie de Covid-19 ?

Un groupe de spécialistes des sciences du comportement et des sciences sociales a publié un article dans la revue Journal of Epidemiology and Community Health (numéro d’août 2020), dans lequel ils présentent 11 principes-clés à respecter dans la conception et la mise en oeuvre de ces interventions. Ces principes-clés sont présentés ci-dessous dans une traduction française. Ils sont communiqués par la Fnes avec l’aimable autorisation des auteurs – nous les en remercions chaleureusement. Voici le lien vers la publication originale, en accès libre sur le site des éditions du British Medical Journal.


 

1. Des orientations claires et spécifiques

Les informations sont nécessaires mais pas suffisantes pour entraîner des changements de comportement dans toute la population ; ces changements nécessitent également de travailler la motivation et la capacité à les mettre en œuvre concrètement.

Les informations sont néanmoins importantes ; elles doivent fournir des orientations claires et spécifiques indiquant exactement quels comportements les personnes doivent adopter pour mettre en œuvre la distanciation physique.

2. « Protégez-vous les uns les autres »

Ce message est particulièrement efficace pour promouvoir une identité collective et des normes sociales favorables. Les messages encourageant l’attention aux autres s’ancrent dans les recherches en psychologie sur l’identité sociale, l’influence sociale et le comportement moral, qui ont montré leur intérêt durant la pandémie de Covid-19, mais aussi d’autres contextes sanitaires.

Le message « Protégez-vous les uns les autres » souligne que les comportements bénéficient à l’ensemble de la population et protègent les personnes les plus vulnérables, y compris celles que nous aimons. Il sera renforcé par l’utilisation d’exemples concrets, la mobilisation des représentations visuelles et des voix de ceux que nous devons protéger (proches, personnes vulnérables, soignants, travailleurs de 1ère ligne…) associées à des conseils clairs et précis sur la mise en œuvre de la distanciation physique.

Des exemples concrets d’adhésion large de la population aux consignes (plutôt que des contre-exemples de non-adhésion) peuvent convaincre ceux dont la volonté d’aider les autres est conditionnée à la conscience que les autres en font autant ; ils seront incités à dépasser l’intérêt individuel pour agir dans l’intérêt collectif.

Dans ces messages, il est important de reconnaître la diversité des groupes de population en termes d’âge, de milieu socio-économique, de culture…, et par rapport à ce qu’il convient de faire pour mettre en œuvre la distanciation physique. Cette communication segmentée pourrait accroître le pouvoir d’agir des groupes concernés.

À l’opposé, le message « Protégez-vous vous-même » aura un impact limité dans le grand public parce que beaucoup se considèrent à faible risque de souffrir de conséquences graves d’une infection à la Covid-19 et sont peu susceptibles d’être convaincus du contraire. La question se pose différemment pour ceux qui présentent des vulnérabilités spécifiques et auront intérêt à « se protéger » pendant de longues périodes.

3. « Mobilisons-nous ensemble »

Ce message fait appel à la fierté que chacun peut ressentir du fait de son appartenance à certains groupes, quartiers ou communautés, et de la mobilisation de valeurs telles que le sens du devoir, la solidarité et l’inclusion. Le message doit provenir de voix jugées représentatives de ces groupes et dignes de confiance, plutôt que de personnes perçues comme partisanes ou intéressées. 

Il doit être adapté au genre, à l’âge ou à l’affiliation régionale ou culturelle de ces groupes. Par exemple, les jeunes sont particulièrement sensibles à la voix de leurs pairs ou d’autres personnes de leur groupe d’âge comme des célébrités ou des « influenceurs ». Il est également essentiel d’éviter les messages stéréotypés ou clivants. Au contraire, à partir d’exemples inspirants (comme ceux de bénévoles ou de soignants de proximité, distincts sur le plan culturel ou socio-économique), il convient de montrer comment ces personnes travaillent ensemble, s’entraident et font partie intégrante d’un projet commun. Ce type de message perdra en efficacité si le contexte politique est marqué par l’inéquité et la division.

4. « C’est ce que nous sommes »

Ce message s’appuiera sur les normes sociales des groupes, c’est-à-dire les règles informelles régissant les comportements au sein de ces groupes. Il devra être présenté comme reflétant une culture de groupe (avec une norme affirmative : « voilà qui nous sommes vraiment »), et le comportement du groupe (avec une norme décrivant des comportements en évolution : « voilà ce que nous faisons »).

Les messages suggérant que les personnes agissent de façon indésirable (« ne faites pas de stocks de produits de première nécessité », « ne détournez pas les consignes ») peuvent avoir des conséquences néfastes involontaires en discréditant les normes positives.

5. Éviter les messages basés sur la peur ou le dégoût

Les messages fondés sur le dégoût peuvent jouer un rôle dans les campagnes encourageant les personnes à se laver les mains mais ne doivent pas être utilisés dans les messages concernant l’hygiène d’autrui ou le risque lié au contact avec des personnes contagieuses. Ces messages seraient contre-productifs dans le contrôle de l’épidémie parce qu’ils saperaient l’identité et l’efficacité collectives que l’on cherche à construire par ailleurs, et pourraient conduire à la stigmatisation des individus ou groupes concernés.

6. Éviter les messages autoritaires et coercitifs

Dans certaines circonstances, les messages basés sur l’autorité et la contrainte peuvent entraîner de grands changements à court terme. Mais ces changements peuvent être difficiles à maintenir dans la durée. Les données scientifiques montrent que les individus et les populations diffèrent de façon importante dans leur réceptivité aux messages considérés comme moralisateurs et autoritaires. Le confinement obligatoire a ainsi généré des troubles à l’ordre public, en particulier lorsque les populations ont eu l’impression qu’il était géré de façon inéquitable.

7. « Organisez-vous et adaptez-vous aux évolutions de la situation »

Ce message s’appuie sur la capacité des personnes à prendre des décisions réfléchies, de façon à éviter les décisions prises sous le coup de l’émotion et à modifier des habitudes de comportement bien ancrées. Inviter les personnes à s’organiser et à planifier peut les encourager à maintenir les changements de comportement dans la durée en les aidant à anticiper les obstacles possibles et en soutenant leur adhésion aux recommandations.

Ces recommandations doivent être claires, précises et apaisantes. Elles doivent préciser comment chacun peut s’organiser pour se procurer les ressources dont il a besoin, pour maintenir des relations sociales et pour accéder à la prévention et aux soins, tout en respectant la distanciation physique. Les circonstances évoluant en permanence, les personnes et les groupes doivent être encouragés à revoir régulièrement leurs plans. Des schémas facilitant cette organisation et cette planification dans le temps doivent être fournis sur papier ou via Internet ou des applications disponibles sur smartphone.

8. « Vous en êtes capables »

Les récompenses, les incitations, les encouragements et le développement du pouvoir d’agir sont plus efficaces sur le changement de comportement que la sanction, la dissuasion ou les pénalités. Le comportement étant influencé par le contexte social, les messages seront d’autant plus persuasifs et efficaces qu’ils seront associés à des avantages significatifs : accès à des droits ou des aides, inscription dans des réseaux sociaux positifs, accès à des divertissements, soutien à l’éducation ou à la parentalité, ressources en santé mentale, accès à la nature et aux espaces verts… Ce soutien doit s’inscrire dans la durée pour soutenir l’adoption des comportements favorables et respecter le principe de l’universalisme proportionné – être ouvert à tous mais en maximisant les avantages pour les plus défavorisés. Réduire les obstacles à la distanciation physique augmente l’adhésion aux recommandations et permet de lutter contre l’altération de la santé mentale qui pourrait en découler.

9. Le style des messages

Les messages doivent être communiqués via des campagnes conçues de manière rigoureuse, intégrant des contenus attractifs et utilisant aussi bien les médias de masse que les réseaux sociaux. Ces campagnes doivent également collaborer avec les médias pour pouvoir mobiliser des porte-paroles inspirant confiance, et légitimes pour promouvoir une approche responsable.

10. Appliquer une théorie du changement et une démarche de projet validées

Chaque intervention devrait être considérée comme un projet décrit dans un document incluant : un objectif comportemental défini (par exemple, sous l’intitulé « objectifs à atteindre dans la population concernée »), un message (par exemple, sous l’intitulé « idée-force »), un support du message (par exemple, sous l’intitulé « livrables »), un groupe cible (par exemple, sous l’intitulé « population visée »), la portée et les attendus (par exemple, sous l’intitulé « effets/résultats »). Chaque projet devrait inclure dans ses « principes de conception » une théorie du changement précisant la façon dont l’intervention et les activités sont censées générer des impacts comportementaux. Les interventions doivent préciser sous l’intitulé « fondements en termes de connaissances validées » les données probantes et les principes de changement de comportement sur lesquels elles se basent. Les interventions individuelles doivent s’inscrire dans un programme global cohérent et être en phase avec ce programme. Les interventions doivent également prendre en compte la possibilité de générer des effets imprévus et utiliser des cadres logiques permettant de limiter ces effets.

11. Une conception participative

Les interventions doivent être co-conçues et pilotées avec les groupes de population concernés, en utilisant une gamme de méthodes incluant la participation et l’ethnographie en ligne, et les focus groups virtuels. Elles doivent être évaluées en utilisant des indicateurs pré-définis de résultat, de portée et d’impact. Cette évaluation devra être prise en compte pour les réalisations futures. Des sondages, et des recherches quantitatives et qualitatives, doivent être utilisés pour évaluer l’impact du programme global, par exemple sur a) le sentiment d’identité collective, b) la perception du devoir de solidarité, c) la motivation à appliquer les recommandations de distanciation physique, d) l’intention de changer de comportement et e) le changement de comportement.


Les auteurs concluent en précisant que ces principes ne remettent pas en cause le besoin de mener des recherches interventionnelles auprès de populations spécifiques, ou de réaliser des pré-tests d’interventions avant leur implémentation, ou des évaluations de ces interventions après leur implémentation. Cependant, ils forment l’espoir que ces principes serviront à sélectionner de façon pertinente les interventions qui devront faire l’objet de ce type de démarche.

Lire et télécharger les 11 principes-clés issus des sciences du comportement pour la communication et l’intervention

 

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