La Société française de santé publique diffuse plusieurs prises de positions de santé publique relatives à la crise sanitaire, dans un seul document.

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Communiqué – 10 avril 2020

En période de pandémie, la démocratie en santé, plus que jamais !

 

Notre pays est confronté à une épidémie d’une ampleur inédite depuis un siècle. La dissémination du nouveau virus SARS-CoV-2 dans la population s’annonce massive, avec des retentissements multiples. La Société Française de Santé Publique apporte tout son soutien aux acteurs engagés dans cette bataille éprouvante. Elle a invité ses membres, et plus largement tou.te.s les professionnel.le.s de la santé publique, à engager leurs forces dans les initiatives qui sollicitent leur concours. L’onde de choc que nous vivons appelle la mobilisation du plus grand nombre.

Dans la réponse à cette pandémie, la santé publique doit mobiliser toutes ses valeurs, à travers :

1. Une pédagogie approfondie. Face à une situation extraordinaire qui a été insuffisamment anticipée, il faut expliquer le confinement à la population : il est la moins mauvaise solution face à la pénurie de moyens de dépistage et d’équipements de protection et donc à l’impossibilité de dépister les personnes infectées asymptomatiques. Le temps viendra où il faudra revenir sur l’insuffisance de préparation à la réponse aux crises sanitaires dans notre pays.

2. Des stratégies de prévention individuelles et collectives. Pour diminuer la pression liée à la « vague » d’hospitalisations qui menace de submerger les ressources du système de soins, il faut mobiliser la prévention. Soutenons tous nos dispositifs collectifs : PMI, santé au travail, centres de planification familiale, de prévention des addictions ou de santé sexuelle…. Sans oublier les initiatives qui fleurissent, à l’échelle locale, en lien avec la diversité des mobilisations communautaires ou des autorités locales pour tenter d’endiguer le flot. Pour ce faire, il faut développer largement l’accès de toute la population auxéquipements de protection ! Nous y invitons dans la note figurant en annexe.

3. La promotion de la santé et la santé communautaire. Le confinement invite à promouvoir la capacité de chacun à prendre en main sa vie et sa santé pour se protéger et protéger les autres. Les citoyens respectent les mesures de prévention lorsqu’ils ont compris leur importance ; pour cela, il faut leur parler comme à des adultes capables de prendre des décisions éclairées. C’est l’adhésion qui fonctionne et non la répression. Ce changement massif de comportement nécessite des messages clairs et appropriables : au lieu d’émettre des injonctions perçues comme paternalistes, il faut miser sur les compétences existantes dans la population. La capacité d’agir n’est pas qu’individuelle, elle se nourrit de compétences collectives. Tous les acteurs sociaux sont concernés et mobilisés : soutenons le monde associatif, le secteur social, les acteurs de l’éducation… C’est aussi largement hors de l’hôpital que la pandémie est combattue.

4. Une attention renforcée aux situations de vulnérabilité. Certains groupes de population subissent de façon brutale l’impact de l’épidémie et des mesures prises pour la contrôler. Ce sont des publics invisibles ou « relégués » : personnes malades chroniques, personnes en situation de handicap, malades psychiatriques, personnes incarcérées, sans domicile fixe, usager.e.s de drogues, travailleur.euse.s du sexe, étranger.e.s sans papiers… Nous sommes également inquiets pour les femmes ou les mineurs victimes de violences intrafamiliales. Il faut soutenir les soins de premiers recours et les dispositifs d’action sociale et médico-sociale, qui font un travail irremplaçable avec des moyens de protection dérisoires.

5. L’élaboration d’une réponse pour ici et là-bas. La pandémie va frapper des systèmes de santé parfois fragiles ou fragilisés par de précédentes épidémies, comme Ebola. Certains pays bénéficieront peut-être des leçons apprises au cours de ces batailles passées. Une pandémie nous rappelle la communauté de destin de l’humanité tout entière. C’est ensemble que nous devons faire face, en partageant les réussites et les échecs de nos stratégies. C’est aussi à l’échelle mondiale que nous devons penser l’approvisionnement et l’accessibilité aux ressources indispensables pour la prévention et pour le soin. L’Union européenne a un rôle central à jouer dans les prochains mois.

En situation de crise sanitaire, nous avons plus que jamais besoin d’une approche démocratique de la santé. L’importance du retentissement, sur la société, de l’épidémie et des mesures de réponse, la perspective de leur prolongement dans le temps et la préparation de la sortie de crise appellent l’implication de tous les acteurs sociaux, à commencer par les citoyens. Cette pratique démocratique peut permettre de limiter l’impact social de l’épidémie et de penser l’après, qui amènera son lot de transformations. Elle doit être la pierre angulaire de l’élaboration de nos réponses collectives, maintenant et dans l’avenir.

 

La Société française de santé publique (SFSP) a pour objectif de rassembler l’ensemble des acteurs de santé publique afin de mener une réflexion interdisciplinaire et interprofessionnelle tournée vers l’action. L’analyse critique des faits scientifiques et des pratiques professionnelles lui permet de formuler des propositions à l’intention des responsables publics et d’éclairer l’opinion publique sur les enjeux des politiques de santé. Créée en 1877, la SFSP est une association reconnue d’utilité publique qui compte 50 organisations et 500 individus membres.

Emmanuel Rusch, Président
François Berdougo, Délégué général 


 

Note à la presse – 10 avril 2020

Masques et produits d’hygiène essentiels : des outils simples de lutte contre la pandémie qui doivent être largement accessibles et auxquels les citoyen.ne.s doivent être formé.e.s

 

Le monde de la santé publique doit s’emparer de nouveau de ce qu’il a pu, un temps, délaisser, alors qu’elle se situe à son fondement et a fait ses lettres de noblesse : l’hygiène, en tant que protection de la santé des populations, devenue dans la période récente un objet strictement biologique et médical. Si la santé publique a un temps d’avance sur certaines approches populationnelles telles que la vaccination ou l’accès universel au dépistage ou aux traitements, l’hygiène reste « à la marge » par rapport à des approches considérées comme plus « nobles », telles que la modélisation des maladies, l’analyse fine de leurs causes, la sociologie des comportements, l’anthropologie historique des crises ou l’identification des populations fragilisées.

La gestion de la crise Covid-19 doit pouvoir bénéficier d’un regard de professionnels de santé publique sur la mobilisation des outils de l’hygiène dans la prévention de la diffusion du virus : masques et autres barrières, isolement et confinement, usage individuel ou collectif de produits désinfectants. Paradoxalement, les données scientifiques sur ces questions sont pauvres. Le sujet est peu porteur pour des carrières scientifiques et, en période de calme épidémique, la probabilité d’obtenir des crédits significatifs pour y travailler est faible. D’autant plus que l’on sait que chaque micro-organisme a ses caractéristiques propres, qui rendent difficile une approche universelle.

Cependant, même face à l’incertitude des connaissances, on n’imagine pas un infectiologue, un chercheur en biologie des micro-organismes, un médecin traitant des personnes immunodéprimées ou un chirurgien soucieux des infections nosocomiales travailler sans protection, sans outils « barrière ». Que ce soit pour se protéger ou pour protéger ses patients. Dès lors, même en l’absence de données scientifiques fournies, une approche volontariste d’utilisation systématique de tout ce qui est disponible pour se protéger et protéger les autres relève d’un principe de précaution collective. Il a l’avantage sur les médicaments de ne présenter aucun effet secondaire. Au pire, cette utilisation est faiblement efficace.

A ce stade de la pandémie, nos messages sont clairs :

  • Une large accessibilité à toutes les solutions d’hygiène à l’extérieur du domicile devrait être organisée : eau courante pour se laver les mains, savons, gel hydro-alcooliques doivent être disponibles partout et en self-service dans tous les lieux d’activité encore actifs. Ils devraient aussi être disponibles largement à l’achat à prix contrôlé comme un bien essentiel de crise.
  • Les masques de protection devraient être rendus largement disponibles afin qu’ils soient utilisés par toute la population, dès maintenant, demain en sortie de confinement, et plus tard pour éviter de nouvelles vagues. De nombreux modèles de masques « alternatifs » existent, notamment créés par des équipes hospitalières sur la base des connaissances disponibles.
  • L’apprentissage d’une utilisation correcte des masques par les non professionnels de santé doit faire l’objet de messages répétés à diffusion large. Ils doivent s’accompagner d’actions demédiatisation sous la forme de comportements « exemplaires » et pédagogiques de la part de tous les décideurs publics, les relais d’opinion, les producteurs d’information aux citoyens, les acteurs des services publics dans leur fonctionnement quotidien, les fournisseurs autorisés de services jugés essentiels.

C’est l’articulation de ces différentes modalités qui permettra d’agir sur un autre levier essentiel du changement de comportement attendu : les représentations qu’a la population, dans toutes ses composantes, de ces mesures de protection. Ces représentations, qui s’ancrent dans les connaissances, les croyances et les interprétations sociales et culturelles de chacun, exercent une influence majeure sur sa volonté et sa capacité à faire évoluer ses pratiques en matière d’hygiène. Elles sont donc impérativement à prendre en compte dans l’approche de cette question, en appui sur les dispositifs de médiation et les relais de proximité mobilisables.

Yves Charpak, Vice-Président 

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