Colloque :
Enjeux de l’interculturalité et de la pluriethnicité en Guyane,
les pratiques de la relation d’aide et de soin en question.
Université de Guyane – MINEA (EA-7485)
  • Cayenne : 9 et 10 décembre 2019,
  • Saint-Laurent du Maroni : 12 et 13 décembre 2019.
Argumentaire

La dimension multiethnique et multiculturelle de la Guyane est un trait constitutif de ceterritoire français d’Amérique du sud. Elle résulte de la dynamique historique et démographique d’une société ouverte et en mutation profonde. Les vagues migratoires des 7 dernières décennies ont multiplié la population par 7 (Colomb et Mam Lam Fouck, 2016) et ont conduit à une recomposition des groupes et de leurs rapports (Jolivet, 1997). En conséquence, des disparités et des hiérarchisations sociales et culturelles sont à l’œuvre et impactent les conditions de vie de la population (Piantoni, 2008). Une analyse de fond s’impose d’emblée : la juxtaposition d’éléments divers ne suffit pas pour faire société. Encore faut-il cultiver le lien social et renforcer les reconnaissances mutuelles pour aller vers une unité de sens et forger un destin commun.

Confrontés à la diversité des publics accompagnés, les professionnels de l’éducation, du soin et du travail social, sont conduits, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en aient conscience ou pas, « à faire avec ». En effet, aucun patient, aucun usager du travail social ne laisse son identité propre à la porte de l’institution chargée de son accompagnement. De l’autre côté, les professionnels, eux non plus, ne peuvent pas faire fi de l’altérité (culturelle, linguistique, identitaire…) des sujets qu’ils accompagnent. La différence qu’ils observent chez l’autre éveille la question de leur propre altérité, de leur propre identité et interroge leurs propres modèles culturels, tant professionnels que familiaux (Cohen- Emerique, 2011). Ils sont aussi interpellés dans ce qu’ils sont (Fustier, 2000 ; 2008), dans ce qu’ils font (Qribi et Chapellon, 2018) et touchés au plus profond de leur être (Rouzel, 2005). Le professionnel intervenant dans le champ de la protection de l’enfance sera ainsi, à son insu amené à jauger la question de la bientraitance à l’aune de ses propres outils internes, c’est-à-dire au regard de sa propre expérience d’enfant ayant grandi dans une culture donnée. Comment ces professionnels s’y prennent-ils face à cette altérité culturelle révélant leur propre « sentiment d’être différent » ? Quelle conscience en ont-ils ? Comment cette différence impacte-t-elle leurs pratiques ? Quels retours d’expériences peut-on recueillir dans ces champs de pratiques ?

Si les notions d’intégration, d’assimilation et de normalisation ont longtemps marqué les pratiques des travailleurs sociaux et médicosociaux œuvrant auprès des populations migrantes ou issues de l’immigration (Bolzman, 2012), qu’en est-il au juste de cette perspective dans le contexte guyanais ? La culture de l’assimilation étant largement inscrite dans l’histoire de ce territoire (Puren, 2007), de quelle manière infiltre-t-elle (ou non) la formation et les pratiques d’accompagnement et de soin ? Comment les professionnels pris à l’interface des institutions qui les emploient et des usagers qui les sollicitent répondent-ils aux injonctions des uns et aux difficultés et aspirations des autres ? Pris dans les tensions de l’interculturalité et les paradoxes de l’accompagnement social entre normalisation et émancipation (Libois, 2011), quelles voies les professionnels investissent-ils pour demeurer fidèles aux fondamentaux éthiques régissant l’intervention sociale et médicosociale (Autés, 1999)? Les bénéficiaires ont tous, en tant qu’êtres humains, des droits fondamentaux garantis aux niveaux national et international. Quels sont les droits dont le respect apparait problématique dans le contexte de l’étude ? Qu’en est-il des aspects culturels de la confrontation entre codes juridiques occidentaux et codes locaux régissant les conduites et les responsabilités ?

De surcroît, les relations interculturelles ne se limitent pas à des rencontres intersubjectives mettant en jeu des enracinements culturels différents affectant les interactions entre usagers et professionnels. La rencontre entre professionnel et usager met inévitablement en jeu la question du statut des individus, des rapports sociaux, des hiérarchies entre groupes et cultures qui existent par ailleurs. Ainsi, dans une société post esclavagiste et post coloniale, les rapports de domination entre ses multiples composantes orientent les interactions et génèrent des stratégies identitaires variées chez les acteurs (Camilleri et al., 1990). Il en est ainsi, par exemple, des rapports entre noirs et blancs, entre assimilés à la francité et autochtones (amérindiens et noirs marrons, longtemps considérés comme « primitifs »), entre migrants en provenance de pays et de régions pauvres (Haitiens, brésiliens issusde l’Etat d’Amapa, …) et habitants installés depuis plus longtemps dans cet « Eldorado » régional, entre migrants réguliers et migrants non réguliers.

Si les relations ordinaires dans la cité sont largement marquées par ces appartenances qui définissent les places réelles et imaginaires des uns et des autres, leurs ressources matérielles et symboliques, et influent sur leurs aspirations, comment les professionnels parviennent-ils (ou non) à s’arracher au sens commun et aux intérêts conscients ou inconscients, pour s’inscrire dans une éthique de justice sociale, d’égale dignité de tous ? Et quand bien même le désirent-ils, le pourraient-ils sans une formation capable d’impliquer une transformation de soi passant par des processus de déconstruction/reconstructions conceptuels, de praxis et par un remue-ménage affectif ?

De manière plus précise, ce colloque vise à explorer trois champs d’intervention mettant en jeu la pluriethnicité et la pluri culturalité en Guyane.

Le 1er champ pratique est celui du travail social. Les travailleurs sociaux ne sont effectivement pas imperméables aux représentations sociales concernant les particularités culturelles des publics vulnérables qu’ils accompagnent. Quelles sont leurs perceptions et quelles pratiques concrètes mettent-ils en œuvre au regard des situations qu’ils rencontrent, et vivent ce faisant ? Comment évitent-ils ou reproduisent-ils les stéréotypes dominants ? Quels outils d’accompagnement les travailleurs sociaux construisent-ils pour rester en phase avec l’éthique, telle qu’elle est précisée dans la définition internationale du travail social en termes de respect de la dignité des personnes et de justice sociale ? Il faut parfois faire preuve de créativité pour parvenir à accompagner les sujets démunis socialement et précarisés sur le plan affectif par l’exclusion que produit la différence culturelle (Kaës et al., 1998). Aussi, nous ne manquerons pas de nous intéresser aux inventions pratiques réalisées par les travailleurs sociaux pour offrir des espaces transitionnels (Winnicott, 1971) facilitateurs du lien. Quelles sont les médiations utilisées pour établir des compromis et trouver des points d’équilibre entre similitude et différence, ente égalité et diversité ? Une telle démarche permet-elle une alternative tant au relativisme culturel qu’au communautarisme ? Enfin, comment le travail social peut-il proposer une juste médiation aux enjeux pratiques et éthiques inévitablement soulevés par la question de la différence culturelle et des enjeux de l’inter ethnicité?

Le deuxième champ pratique concerne le domaine médicosocial. Les représentations de la santé et de la maladie ont un impact sur les conduites des usagers face aux soins. Il en est notamment ainsi de la signification du handicap selon les cultures (Gallibour, 2007 ; Gardou, 2010) ou de la représentation de la pudeur et de sa (non) prise en compte dans le milieu hospitalier (Renaud, 2017). Comment ces représentations conditionnent-elles les attitudes et comportements des acteurs lors de l’accompagnement ? Comment les relations interethniques impactent-elles les possibilités d’accès au système de soin en Guyane (Carde, 2012). Qu’en est-il des discriminations socio ethniques face à la santé en Guyane d’aujourd’hui ? Comment entrer dans une démarche de soin nécessairement inscrite dans une culture, en laissant place à l’autre dans sa singularité culturelle sans s’en trouver pour autant déstabilisé ? Quels outils et médiations sont-ils mis en œuvre (ou non) pour améliorer l’accès aux soins et les relations de soin (Léglise, 2007) ?

Le troisième champ pratique est celui de la formation des professionnels de la relation d’aide et de soin. La prise en compte des singularités culturelles ne dépend pas d’une simple déclaration de principe, de conviction ou de bon sens. Elle exige une formation adéquate des professionnels concernés. S’agissant d’enjeux psychologiques, sociaux et culturels complexes, la formation est à interroger dans ses finalités et dans ses pédagogies. Qu’il s’agisse du travail social (Guélamine, 2007) ou du domaine de la santé (Francoeur, 2015), une ligne de force semble se dessiner : l’importance d’une démarche clinique qui s’intéresse à la singularité des sujets et des situations, au-delà des catégorisations des personnes, des appartenances et des cultures. Si les connaissances des particularités de chaque population ont leur importance, elles le seraient beaucoup plus en termes de résonnances intersubjectives potentielles provoquées par le choc des modèles d’être qu’en termes de muséographie culturelle. Autre piste novatrice : l’intégration des savoirs d’expérience, savoirs situés ou savoirs d’« en bas » des usagers et des populations (Arnoux, Hajji, Lefeuvre, 2017) dans la formation des professionnels. Qu’en est-il donc des pratiques de formation à l’interculturalité dans les différents champs considérés ? Et quels enseignements en tirer au regard des référents théoriques, des pédagogies, des publics et des contextes d’application ?

L’ensemble de ces interrogations, bien qu’intéressant la Guyane en premier lieu, s’applique dans une large mesure à beaucoup d’autres espaces d’outre-mer. Aussi, des expériences relevant de ces derniers contextes sont-elles les bienvenues dans le cadre du colloque.

 

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